Sulawesi, c'est parti! Dernier voyage en Indonésie pour Tolo, qui a fait venir son frère Guillermo pour l'occasion. Le plan est le suivant: long weekend à Bunaken, une petite île au nord de Manado, en compagnie de Laetitia, puis une semaine dans l'arcipel reculé des Togian.
Le vol Jakarta-Manado est plutôt court, nous atterrissons le vendredi soir après 2h30 de trajet. Très vite on nous distribue des prospectus pour un guesthouse sur Bunaken. Mais d'abord, il nous faut passer la nuit à Manado. J'ai oublié le nom de l'hotel, mais pas que c'est probablement le plus miteux qu'il m'a été donné de voir! Bref, on part au port au petit matin pour louer un petit charter boat. Trois quarts d'heure plus tard, nous sommes au resort Panorama. 150 000 roups par personne et par jour, trois repas et eau comprise. Bon deal, la cuisine est bonne, l'ambiance excellente... Et c'est un spot de plongée formidable! On s'en donne à coeur joie, les instructeurs sont très cool et serviables, la visibilité au top, les coraux vivants, la densité de poisson incroyable, j'ai même vu mes deux premières eagle rays... Elles donnent l'impression de se déplacer dans un majestueux vol subaquatique. Une destination de vacances exceptionnelle, vue la beauté de l'île et de ses fonds marins. Nous goutons au Cap Tikus, nom local de l'arak, pour une soirée amusante mais qui laissera quelques traces pour certains (confidentialité oblige, je ne révèlerai les noms qu'en échange d'un généreux dessous de table).
Lundi matin, Laetitia nous quitte donc pour rejoindre Jakarta. Moment un peu douloureux que de la voir partir sur son bateau... J'irai faire une plongée plus tard dans la journée malgré tout. Et le lendemain, direction les Togian, la terre des Bajo. Un peuple de la mer, qui vit traditionnellement dans des maisons sur pilotis, au dessus de la mer, parfois au milieu de nulle part, mange riz et poisson tous les jours, se déplace en pirogue. Le gouvernement indonésien est en train de les pousser à se sédentariser, aux détriment bien sûrs de leur héritage culturel ancestral. Ils ont même par le passé été chassés d'une partie de leur terres à Sulawesi.
Depuis Bunaken, il faut donc prendre un bateau pour Manado (45 min), une voiture jusque Gorontalo (9h), un ferry pour Wakai (12h, qui ne passe que deux fois par semaine), et enfin un autre bateau pour l'île de Kadidiri, notre destination finale. Un long, long voyage... D'autant que la voiture que nous avions réservée avec d'autres touristes rencontrés au Panorama et en route pour Togian eux aussi est trop petite pour nous 7! Il en faut 6 dans l'une, et le dernier dans une autre voiture contenant 5 passagers indonésiens. Voyageant techniquement seul (les autres sont les frérots ou des couples), c'est pour ma pomme. Pas très rigolo de s'asseoir au milieu entre un bibendum et une petite mémé qui s'avèrera prendre le plus de place! Il fait chaud (pas de clim), c'est long, j'ai mal aux fesses, j'arrive pas à trouver une bonne position pour mes jambes... Et pourtant, au son de la très mielleuse pop indonésienne, je passe des moments introspectifs appréciables, presque ivre de l'intense lumière de Sulawesi, et de la beauté incroyable de ses paysages naturelle. Peut être la plus belle île que j'ai visité jusque maintenant.
On arrive enfin au port, le ferry partira avec une heure de retard. Deux heures d'attente pour nous. On se paye un billet en business class, le bon choix! Siège inclinable, fréquentation faible, on aura même droit à 35 minutes du Espagne - France au coeur de la nuit (les dernières, heureusement pour moi mais pas pour les potes espingouins!). Le seul problème est que la clim est trop froide! Le voyage se passe donc bien, et nous débarquons donc à Wakai à la recherche du bateau de Pondok Lestari, le guesthouse où nous voulons séjourner. Ils sont quasi pleins mais nous disent que l'on s'arrangera bien. Du coup, on y va! La plage est très jolie, le paysage, peu banal en Indonésie, rappelle un peu le vietnam. Nous nous installons donc tous les 3 dans la même chambre pour cette nuit, pouvant récupérer un bungalow supplémentaire le lendemain car 3 plongeurs francais s'en vont après trois semaines de séjour ici (sans parler anglais ni bien sûr indonésien!). Les autres touristes sont un groupe composé majoritairement d'Ukrainiens, un couple francais, Céline et Pascal, ainsi que Marius, un roumain. Voyant l'affluence, le confort rudimentaire (sanitaires communs: deux toilettes à la turque et deux mandi, le système indonésien qui consiste à se laver depuis un grand bac à eau), on se dit qu'il sera toujours temps de changer d'île après avoir fait un peu de rando, de plongée, de pêche. Ce que nous ignorons à cet instant, c'est aucun d'entre nous n'émettra le désir de quitter cet endroit. Malgré le confort, la nourriture correcte mais moins bonne qu'à Bunaken, il est marrant de constater comme tout cela n'a plus d'importance au bout de quelques jours. La magie de cet endroit s'empare de vous, les journées passent très vite, même si vous ne faîtes rien d'autre que lire, nager, jouer de la guitare, boire une bière, squatter le hamac, accompagner les femmes en bateau pour apporter le linge au village d'à côté, ou partir pêcher avec Aka...
Un grand homme que cet Aka, qui goûtera un repos mérité à notre départ, ainsi que Mama, qui n'apprécie pas trop qu'il joue de la guitare tard le soir en buvant du Cap Tikus avec nous! Il pêche à la ligne (une fois avec Tolo qui nous ramènera un succulent jackfish, le meilleur repas de la semaine!), au harpon, les langoustes avec un bâton... Il confectionne des jolis pendentifs dont il nous fera cadeau, il est accueillant et sourit tout le temps... Il est heureux, quoi!
Les soirées passées à chanter et partager du Cap Tikus succèdent aux longues phases de méditation. On est seul avec ses émotions, mais tous ensemble en même temps. C'est compliqué à décrire comme sensation, ca ressemble un peu à une messe Gospel à Harlem, lorsque certains se lèvent aléatoirement au cours du prêche, dans une sorte de transe, ou à une fin de soirée au Stadium: chacun vit différemment, intensément, personnellement le truc, mais ca ne fonctionnerait pas sans les gens autour... Partager le quotidien de cette famille pendant une semaine est une expérience humaine incroyable, inoubliable. Aka, Teteng, Eki, Eros, Mapa sont tristes de nous voir partir. Je n'ai pour une fois pas de mots au moment du départ, ma gorge ne fonctionne pas. Idem pour les autres ils me semble... On n'en parlera pas.
Je ne vous ai pas encore parlé de Marius, le touriste roumain. Auparavant photographe (nous ne l'avons jamais vu avec un appareil, cela dit), il étudie désormais le bahasa indonesia à Makassar grâce à une bourse, et en profite pour venir squatter ici de temps à autre. Alcoolique invétéré, il boit du thé toute la journée, qu'il coupe avec du Cap Tikus lorsqu'il croit être à l'abri des regards. Un jour, alors que Aka, Tolo et moi partons pêcher juste avant la tombée de la nuit, il nous accompagne sur le bateau, qui est plutôt une sorte de pirogue équipée d'un moteur de tondeuse. Ce que je pense être une bouteille d'eau est en fait de l'Arak qu'il trimballe avec lui un peu partout. Il commence par s'allonger sur le bateau, scrutant les flots. Il est, pour parler crûment, déjà complètement pinté. Alors que l'obscurité arrive, il me tend avec insistance la bouteille pour que j'en donne à Aka. Le capitaine refuse, heureusement. Ca ne satisfait pas notre Marius, qui décide d'aller donner lui même le Cap Tikus à Aka. Honnêtement, il aurait du mal à tenir debout sur la terre ferme, mais il traverse le bateau quand même. On se regarde mi-amusés, mi-inquiets de le voir tomber. Après quelques minutes, il décide de repasser à l'avant du bateau. Tout le monde lui dit de s'asseoir et de faire attention, ce à quoi il répond d'un enjoué: "Don't worry, i'm a fucking gipsy!". Trente secondes plus tard, je me retourne pour le voir basculer par dessus bord. On entend un grand boum au moment où il disparaît dans les flots. Suivent 15 secondes qui paraissent une eternité, de nuit, sans torche, nous hurlant, incapables de voir quoi que ce soit dans l'eau. Il finira par retentir un "Guys, i'm here!" salvateur, et nous voyons cet idiot toujours aggripé tel un singe à l'avant du bateau. Un vrai poids mort, il me faudra bien deux minutes pour le remonter. Il continue ensuite à faire n'importe quoi, commencant à baisser son froc, cul nul, une jambe dans l'eau, pour faire pipi. Tout le monde finira sain et sauf et par en rire les jours qui suivent, mais cela fut vraiment flippant.
Le Marius Boat ressemble à ca, les barres de stabilisation en moins
Pour le retour vers Ampana, 4 heures inconfortables sur une pirogue (on finit à moitié malentendant) au milieu de petites îles inhabitées (on croise un ou deux villages Bajo flottants de temps à autre), puis 8 heures de voiture, avec Colin Mac Rae qui prend un relais au milieu, où j'ai probablement ressenti ce que Marius a ressenti lorsqu'il a touché l'eau... Mais Sulawesi est certainement la plus belles des îles, encore une fois, donc ca compense!
Quatre heures là-dedans, c'est un peu long...
La magie de l'endroit ne peut qu'opérer, c'est loin de tout, mais c'est peut être pour ca que c'est génial!