Jakarta, la ville aux charmes innombrables et mystérieux, aux défauts criants. Aux facettes aussi nombreuses que les bras de Vishnou. Où la misère côtoie l’opulence. Il n’est pas rare de voir stationné au feu rouge un énorme 4x4 Mercedes noir aux vitres teintées, se faire dépasser par une famille au complet, juchée, sans casque, sur un simple scooter. Jakarta est comme une immense fourmilière où les motos sont les insectes, capables de porter un poids incroyable comparé à leur taille. Jusqu’à 5 personnes peuvent monter sur l’une d’elle, ce n’est pas un problème. On peut vivre ici les pieds dans une décharge, à l’ombre d’un hôtel de luxe. On peut aller s’amuser dans un grand hôtel, où la taille des toilettes dépasse celle d’un appartement parisien, ou préférer les bars un peu glauques du Jakarta interlope, côtoyant au son du dangdut des mafieux des Moluques, ou des papous venus pour un soir chercher le réconfort d’une fille ayant perdu la candeur qui sied si bien aux habitants des villages javanais, défraîchie par ces années de travail difficile. On s’agglutine sous un poste de télévision déglingué, volume sonore à fond, en mangeant son nasi goreng, ou on va au cinéma, armé d’un pull pour combattre le froid polaire de la clim, payant le supplément pour assister à la séance dans un lit ou se faire apporter un burger… On peut passer, dans la même soirée, du club très hype où il fait bon se montrer, où l’on refuse l’entrée des demoiselles ne portant pas de talons, où l’on vient pour étaler son argent en réservant le carré VIP, en écoutant l’assourdissante techno du DJ en vogue, au quartier de l’amour tarifé, tenu  par la mafia, où les filles paraissent si jeunes qu’on a pitié de leur futur, où les taxis ont toutes les chances de vous arnaquer, où les hommes les plus hideux peuvent se sentir désirables, où les élèves croisent leurs profs de lycée…

On peut se perdre à Jakarta. Oublier que le reste de la planète continue de tourner. Se créer un univers duquel on ne pourra plus s’arracher. Elle est la quintessence de cette formidable propension du peuple indonésien à ne jamais, jamais se projeter dans le futur. Elle grandit sans cesse. Tant qu’on peut en ajouter… Tant pis si la ville s’affaisse. Littéralement. Si aujourd’hui ça tient, c’est bon. On solutionnera les problèmes quand ils surviendront. Oublions la chute, et sa conséquence inéluctable, l’atterrissage. On préfère ici recoller les morceaux plutôt que de mettre un matelas en bas de l’immeuble.

Jakarta, si elle était une femme, conviendrait à merveille à l’idée répandue que la beauté intérieure surpasse celle, temporaire et évanescente, de l’apparence. Peut être est-ce la raison du mépris dont elle fait l’objet dans les guides touristiques ? Je peux comprendre qu’on soit rebuté par son trafic incessant, sa pollution, son absence de transports en communs efficaces, de projet architectural ou l’impression de désordre, de joyeux bordel, qu’elle dégage. On entend souvent dire qu’il n’est pas possible d’aimer à la fois Singapour et Jakarta. Beatles ou Rolling Stones. Real Madrid ou Fc Barcelone. Hendrix ou Clapton. Calogéro ou Julien Doré. Choisis ton camp, camarade. Singapour, c’est l’occident transporté en Asie. On est propre, poli, bien élevé, développé, méthodique. On vous ignore dans la rue, on a le visage fermé, on est sérieux, on anticipe, soupèse, étudie, prévoit, on s’ennuie peut être un peu aussi… Ici, on vit, on rit, on pleure, on arbore ce magnifique sourire si réconfortant, joyeux et innocent, on profite du bonheur tant qu’on le tient, on accueille les problèmes avec fatalisme, les remontrances avec flegme, on passe des heures dans les bouchons, on pense à sa communauté avant de penser à soi, on évite de se rappeler de la corruption qui ronge la société, on rêve de voyage, on prie, on passe du coq à l’âne, on oublie, on change, à toute vitesse...

Je me fais l’effet d’être un parent un peu dépassé par la vue de son enfant qui grandit trop vite. Jakarta, je sais que tu n’es déjà plus la même qu’hier. Je continuerai à t’aimer, quoiqu’il arrive. Mais s’il te plaît, garde toujours au fond de toi, un peu de ce toi-même là…

Le jeudi 3 janvier 2011, c'était la nouvelle année chinoise 2562, ou Imlek. L'occasion pour nous de faire un tour à Glodok, le quartier chinois populaire de Jakarta.

Pour bien contextualiser, la cohabitation inter-ethnique fonctionne plutôt bien en Indonésie, sauf pour les Chinois d'Indonésie. Ces descendants de l'Empire du Milieu représentent environ 2% de la population indonésienne. Le problème est qu'il y a quelques décennies, alors que le pouvoir souhaite favoriser l'émergence d'entrepreneurs locaux, beaucoup d'hommes d'affaires Chinois accaparent les richesses et les postes économiques importants. Ajoutons à cela le fait qu'ils sont considérés communistes (ne rigolez pas c'est grave ici!), et non musulmans, et voilà le bouc émissaire idéal. Le quartier de Glodok est au cours de l'histoire la cible régulière et privilégiée de la population. Les dernières émeutes datent de 1998, et l'armée est soupçonnée d'y avoir joué un rôle prépondérant. Depuis, la présidence du pays a changé et les lois discriminatoires à l'égard des Chinois (à un moment donné, parler le Chinois ou utiliser l'alphabet était illégal dans le pays) ont été abolies. Pourtant, les habitants de Glodok ne sont a priori pas pressés de rénover leur quartier, de peur de subir de nouvelles persécutions. Les festivités de l'Imlek étaient interdites jusquà il y a quelques années, et ne sont pas encore folichonnes. Pas de parade dans les rues, pas d'ambiance particulière en dehors des temples. Ceux-ci sont bondés, on y brûle de l'encens par paquet de 64, on remplit des vases, on prie...

Le quartier c'est du vrai China Town ultra typique!

Voilà, une petite visite de nuit originale et sympa!

Jakarta est très surprenante. Samedi, nous sommes allés au Pondok Indah Mall, pas trop loin de chez nous (enfin une heure de route l'après midi, seulement 25 min le soir en rentrant...). Cette partie de la ville regorge de maisons très grandes et chics, avec beaucoup plus de verdure qu'au nord et au centre. Un petit hollywood local, toutes proportions gardées évidemment. Alors le Mall, c'est absolument démesuré, sur 4 étages, avec des ponts entre chaque batiment... Y'a bien sûr une tonne de boutique et un ciné, une aile appelée Food Street, et même un aquapark... Y'avait un concert pendant qu'on était là, oui oui en plein dans le mall, au rez de chaussée ! Et apparemment y'en a un deux fois plus grand à Jakarta... Bref, la ville ne présente apparemment d'unité que dans sa capacité à cacher la misère à l'ombre des buildings de luxe, hormis peut être à Kota. Mais j'ai pu acheter des crampons flambants neufs, je commence normalement jeudi par un petit match d'entraînement dans la Jakarta International Football League, créée par et pour des expats. Les locaux sont trop forts, visiblement... En même temps sur 20 millions d'habitants je veux bien croire qu'il y en ait quelques bons ! Apparemment leur première division correspondrait au National chez nous. Je vais si tout va bien devenir un De Hooi Nomad (d'après le nom du bar sponsor de l'équipe), équipe composée de fêtards d'une dizaine de nationalités différentes. La bar est sympa en effet ;)

J'ai visité le Centre Culturel Français aujourd'hui, ni plus ni moins une médiathèque avec des ouvrages dans la langue de molière. De manière surprenante, leur caféteria m'a permis de manger pour 12000 roupies, soit très exactement un euro. C'est du niveau des warungs, sortes de gargottes sur le bord des routes où il n'est pas rare de voir les plats cuisinés avec les casseroles posées sur le trottoir ! Même au supermarché on n'arrive pas à manger pour ce prix là. En plus c'était bon :)

A part ça, Jakarta est petit à petit en train de nous adopter, ou l'inverse. Nous avons une bien meilleure idée de l'agencement des grands axes et des quartiers de la ville. Grâce à un bouquin prêté par un collègue de Laetitia, j'ai les bases de la structure du bahasa indonesia. Et c'est très facile d'accès en fait, en 5 leçons (soit 2 heures !) je peux exprimer pas mal de choses, et notamment le mouvement, très pratique quand on prend un taxi ! Du coup nous commençons à nous éloigner des recommendations pour prendre des taxis hélés dans la rue et d'autes compagnies (mais c'est vrai que demander un Blue Bird à l'hotel c'est ultra safe donc un très bon réflexe). Pour l'instant, pas un n'a tenté de nous arnaquer, du moins pas de manière outrageuse ! En fait difficile de savoir si les chauffeurs font semblant de ne pas bien connaître. Certains sont forcément sincères car beaucoup d'entre eux débarquent de leur village lointain dans l'espoir de trouver un job et finissent chauffeurs de taxi. Forcément, ça peut prendre un peu de temps de connaître la ville aussi bien que Jimmy, qui est là depuis 30 ans ! Et la conduite, on s'y fait, du moins quand on n 'est pas au volant :). Le klaxon à outrance c'est pas mal en fait, ce n'est pas (toujours) un signal de méchanceté comme en Europe mais bien un avertisseur. Alors comme c'est incroyablement dense, on avertit souvent, mais ça fonctionne très bien comme ça !

Jakarta est de prime abord très différente de sa population: pas du tout souriante ! Mais l'impression qu'elle est aussi attachante que ses habitants commence largement à se diffuser. Vivement la suite, que l'on déniche tous ses trésors cachés !

Pour les courageux qui sont arrivés jusqu'ici, je tiens à rappeler que dans la case "Newsletter" de la colonne à droite des articles, vous pouvez entrer votre adresse mail afin d'être notifiés à chaque fois que nous publions un article.

En ce jour de manifestation anti-gouvernementale à Jakarta, j'ai courageusement choisi de ne pas mettre le nez dehors... Vu les reportages télés, ça avait l'air de s'envenimer avec la polisi, et je ne me sens pas encore suffisamment indonésien pour jouer les héros ! Jouons donc les hérauts (ça maintien en forme 30 min de natation quotidiennes !).

Dimanche, après avoir passé une bonne partie de la journée à dormir et à s'extirper à une torpeur certainement due à la chaleur, au voyage et au décalage horaire (normale selon les collègues de Laetitia), nous avons pris notre premier taxi pour aller à Jalan Jaksa, un quartier de Jakarta.

Premières impressions, la circulation est fluide, ça ne sent pas trop l'essence, bref mieux que ce à quoi on s'attendait ! Arrivés à Jalan Jaksa, nous trouvons un kampung (=village) au milieu de la jungle urbaine ! C'est le quartier des routards, avec des hotels pas chers, des petites gargotes, des ruelles exactement comme dans les reportages télés ! La chaleur est moite en comparaison de la clim de l'appart. Notre premier nasi goreng (le plat national) avalé, nous partons à pied jusqu'à la place Merdeka, centre de Jakarta, qui arbore une immense colonne. Au milieu des Indonésiens, la promenade est sympathique: ils nous interpellent à coup de "Good night mister, how are you doing ?". Bref, un premier contact très rassurant, avec des locaux souriants et visiblement contents de voir des occidentaux.

Lundi, premier jour de boulot pour Laetitia. Jimmy la dépose. Et là c'est bien différent du week end ! C'est perpétuellement bondé sur les routes, entre les 2 roues, les voitures, les minibus décrépits... Là où en France on aurait deux files, il y a ici trois files de voitures de front, et deux de motos ! Avec environ 50 cm de distance entre chaque véhicule, et ce devant, derrière ou sur les côtés. Autant vous dire qu'en marchant en bord de route, là, on la sent la pollution ! Impressionnant, j'irai filmer tout ça un de ces jours.

Mardi, je m'aventure à Kota, la "vieille ville". C'est au nord de Jakarta, près du port. C'est là qu'avait été batie Batavia par les colons hollandais. Le quartier, malgré une jolie place bordée de musées, est assez pauvre. Mais les gens sont toujours aussi souriants ! Par contre, en dehors de "Hello Mister", j'ai l'impression qu'ils sont relativement peu nombreux à pouvoir aller plus loin dans une conversation en anglais. Va falloir se mettre à l'indonésien. Rien que pour les taxis, d'ailleurs. Le mien, ce jour, m'a tchatché pendant 5 min, ce à quoi je répondais invariablement que je ne comprenais pas. Mais bon, rien de suffisant pour le faire arrêter... Jusqu'à arriver dans les bouchons. On a mis une heure pour faire 10 km, et pas en heure de pointe ! Ca lui a permis de faire des micro sommeils à chaque fois qu'on s'arrêtait... Au moins, je commence à repérer les grands axes et l'agencement des quartiers. Une fois à Kota, j'ai appréhendé un des problèmes d'adaptation que l'on va rencontrer: impossible de marcher à Jakarta ! Si dans les quartiers plus huppés, les feux rouges permettent de circuler, ici, je n'ai pas réussi à traverser pour aller voir un vieux canon portugais, prise de guerre d'il y a deux siècles. Sur la route, on klaxonne tout le temps, et on conduit au forceps. Le piéton est le plus fragile de tous et donc a bien du mal à s'imposer dans le flot des véhicules ! Faudra s'habituer à se faire conduire pour parcourir les distances les plus dérisoires...

Ce soir, nous allons à Kemang, quartier où apparemment de nombreux expat vivent et qui regorge de restaurants et bars.